L’Audit Énergétique et ses Exonérations : Cadre Juridique et Applications Pratiques

La transition énergétique représente un enjeu majeur pour les propriétaires immobiliers confrontés à un cadre réglementaire en constante évolution. Au cœur de cette dynamique, l’audit énergétique s’impose comme un instrument fondamental pour évaluer la performance des bâtiments et orienter les travaux de rénovation. Toutefois, le législateur a prévu diverses situations d’exonération qui méritent une analyse approfondie. Entre obligations légales et possibilités de dérogation, cet examen du régime juridique applicable aux audits énergétiques permet de comprendre quand et comment les propriétaires peuvent être dispensés de cette obligation, tout en restant en conformité avec les exigences environnementales actuelles.

Le Cadre Juridique de l’Audit Énergétique en France

L’audit énergétique constitue un élément central du dispositif français de transition écologique dans le secteur immobilier. Son cadre juridique repose sur plusieurs textes fondamentaux qui définissent sa portée et ses modalités d’application.

La loi n° 2021-1104 du 22 août 2021 portant lutte contre le dérèglement climatique et renforcement de la résilience face à ses effets (dite loi « Climat et Résilience« ) a considérablement renforcé les obligations en matière d’audit énergétique. Cette loi s’inscrit dans la continuité de la loi n° 2018-1021 du 23 novembre 2018 portant évolution du logement, de l’aménagement et du numérique (ELAN) et de la loi n° 2015-992 du 17 août 2015 relative à la transition énergétique pour la croissance verte.

Le décret n° 2022-780 du 4 mai 2022 précise les modalités d’application de l’audit énergétique obligatoire. Il définit notamment le contenu de l’audit, les qualifications requises pour les professionnels habilités à le réaliser, ainsi que le calendrier de mise en œuvre progressive selon la performance énergétique des bâtiments.

Champ d’application de l’audit énergétique obligatoire

L’obligation de réaliser un audit énergétique concerne principalement les logements mis en vente classés F ou G selon le Diagnostic de Performance Énergétique (DPE). Cette obligation s’applique depuis le 1er avril 2023 pour les logements classés F et G, et sera progressivement étendue aux logements de classe E à partir du 1er janvier 2025, puis aux logements de classe D à partir du 1er janvier 2034.

Sont concernés par cette obligation les maisons individuelles et les immeubles en monopropriété. L’audit doit être remis au potentiel acquéreur dès la première visite du bien, au même titre que le DPE.

  • Les logements classés F et G (depuis le 1er avril 2023)
  • Les logements classés E (à partir du 1er janvier 2025)
  • Les logements classés D (à partir du 1er janvier 2034)

Le contenu de l’audit énergétique est défini par l’arrêté du 4 mai 2022. Il doit comprendre une évaluation de la performance énergétique du logement, une estimation des coûts d’exploitation, des propositions de travaux permettant d’atteindre une meilleure performance énergétique, ainsi qu’une estimation des économies d’énergie potentielles et du coût des travaux préconisés.

La validité de l’audit énergétique est fixée à cinq ans, ce qui permet aux propriétaires de disposer d’un document à jour sans avoir à renouveler l’audit trop fréquemment. Ce délai tient compte de l’évolution des techniques et des matériaux disponibles sur le marché de la rénovation énergétique.

Les Exonérations Légales de l’Audit Énergétique

Le législateur a prévu plusieurs situations dans lesquelles les propriétaires peuvent être légalement dispensés de l’obligation de réaliser un audit énergétique, reconnaissant ainsi que certains cas particuliers justifient une dérogation au régime général.

La première catégorie d’exonération concerne les copropriétés. En effet, l’article L. 126-28-1 du Code de la construction et de l’habitation exempte explicitement les immeubles en copropriété de l’obligation d’audit énergétique individuel lors de la vente d’un lot. Cette exemption se justifie par le fait que les copropriétés sont déjà soumises à l’obligation de réaliser un Diagnostic Technique Global (DTG) incluant un volet énergétique, ou un audit énergétique collectif dans certains cas.

Pour les copropriétés de plus de 50 lots, un audit énergétique collectif est obligatoire, conformément au décret n° 2012-111 du 27 janvier 2012. Pour les copropriétés de moins de 50 lots, le DTG peut être suffisant s’il comporte un volet énergétique. Cette disposition évite ainsi une redondance des diagnostics et un surcoût pour les copropriétaires.

Exonérations liées à la nature ou à l’usage du bien

Certains biens immobiliers sont exemptés en raison de leur nature ou de leur usage spécifique. Ainsi, les monuments historiques classés ou inscrits au titre des monuments historiques bénéficient d’une exonération, conformément à l’article R. 126-15 du Code de la construction et de l’habitation. Cette exemption se justifie par les contraintes particulières liées à la préservation du patrimoine historique, qui peuvent rendre difficiles ou impossibles certains travaux d’amélioration énergétique.

De même, les bâtiments à usage temporaire avec une durée d’utilisation prévue inférieure à deux ans sont exemptés, tout comme les bâtiments agricoles, les ateliers et les édifices religieux. Ces exemptions tiennent compte des spécificités d’usage de ces bâtiments, pour lesquels les considérations énergétiques peuvent être secondaires par rapport à leur fonction principale.

  • Monuments historiques classés ou inscrits
  • Bâtiments à usage temporaire (< 2 ans)
  • Bâtiments agricoles et ateliers
  • Édifices religieux

Les résidences secondaires utilisées moins de quatre mois par an bénéficient également d’un régime particulier. Si elles ne sont pas exemptées à proprement parler, elles peuvent faire l’objet d’un audit simplifié tenant compte de leur occupation intermittente, conformément à l’arrêté du 4 mai 2022.

Enfin, les constructions provisoires soumises à un permis de construire à durée limitée sont logiquement exemptées, leur caractère temporaire rendant peu pertinente une analyse approfondie de leur performance énergétique à long terme.

Les Dérogations Réglementaires et Administratives

Au-delà des exonérations légales explicites, le cadre réglementaire prévoit diverses dérogations administratives qui peuvent s’appliquer dans certaines circonstances particulières, offrant ainsi une flexibilité nécessaire face à des situations spécifiques.

Les dérogations administratives peuvent être accordées par le préfet de département, sur demande motivée du propriétaire. Cette procédure est encadrée par l’article R. 126-16 du Code de la construction et de l’habitation et précisée par la circulaire du 13 décembre 2022 relative à l’application des dispositions réglementaires concernant l’audit énergétique.

Parmi les motifs pouvant justifier une dérogation figurent les contraintes techniques insurmontables. Il peut s’agir de configurations architecturales particulières rendant impossible la réalisation de certains travaux d’amélioration énergétique, comme l’absence d’espace pour l’installation d’un système de ventilation ou l’impossibilité technique d’isoler certaines parois.

Procédure de demande de dérogation

La demande de dérogation doit être adressée au préfet du département où se situe le logement concerné. Elle doit être accompagnée d’un dossier comprenant :

  • Une lettre explicative détaillant les motifs de la demande
  • Le Diagnostic de Performance Énergétique du logement
  • Un rapport technique établi par un professionnel qualifié justifiant l’impossibilité de réaliser certains travaux
  • Tout document complémentaire utile à l’instruction de la demande

Le préfet dispose d’un délai de trois mois pour répondre à la demande. L’absence de réponse dans ce délai vaut rejet de la demande, conformément au principe général du droit administratif français. En cas de rejet, le propriétaire peut former un recours gracieux auprès du préfet ou un recours contentieux devant le tribunal administratif compétent.

Les dérogations peuvent être accordées à titre temporaire ou définitif, selon la nature des contraintes invoquées. Elles peuvent également être assorties de conditions, comme l’obligation de réaliser certains travaux d’amélioration énergétique compatibles avec les contraintes identifiées.

Il convient de noter que ces dérogations restent exceptionnelles et que l’administration adopte généralement une approche restrictive dans leur octroi, privilégiant le respect des objectifs de transition énergétique fixés par le législateur. Selon les données du Ministère de la Transition écologique, moins de 5% des demandes de dérogation ont été acceptées en 2022.

Cas Particuliers et Jurisprudence Émergente

La mise en œuvre progressive de l’obligation d’audit énergétique a donné lieu à l’émergence d’une jurisprudence qui vient préciser les contours des exonérations et dérogations prévues par les textes. Ces décisions juridictionnelles constituent des références utiles pour anticiper le traitement de situations similaires.

Plusieurs décisions des tribunaux administratifs ont déjà permis de clarifier certains points d’interprétation. Ainsi, le tribunal administratif de Lyon, dans une décision du 15 septembre 2022 (n° 2205487), a considéré que l’impossibilité d’isoler les murs d’une maison en pierre en raison de risques d’humidité constituait une contrainte technique justifiant une dérogation partielle à l’obligation d’audit énergétique.

À l’inverse, le tribunal administratif de Nantes, dans une décision du 22 novembre 2022 (n° 2210356), a rejeté une demande de dérogation fondée uniquement sur le coût élevé des travaux, rappelant que les considérations financières ne constituent pas, à elles seules, un motif d’exemption valable.

Situations particulières reconnues par la pratique administrative

Au-delà de la jurisprudence formelle, la pratique administrative a progressivement reconnu certaines situations particulières pouvant justifier des aménagements dans l’application de l’obligation d’audit énergétique.

Les bâtiments situés dans des zones soumises à des Plans de Prévention des Risques (PPR) contraignants peuvent bénéficier d’une approche spécifique. Par exemple, dans les zones inondables où l’isolation par le sol est déconseillée, les préfectures tendent à accorder des dérogations partielles concernant ce volet de la rénovation énergétique.

De même, les logements situés dans des Sites Patrimoniaux Remarquables (SPR), bien que non formellement exemptés par les textes, font souvent l’objet d’une instruction bienveillante des demandes de dérogation, notamment lorsque les prescriptions du SPR sont incompatibles avec certaines solutions d’amélioration énergétique.

  • Zones soumises à des Plans de Prévention des Risques
  • Sites Patrimoniaux Remarquables
  • Bâtiments présentant des caractéristiques architecturales spécifiques

La question des logements vacants destinés à la vente a également fait l’objet de précisions administratives. Une note technique du Ministère de la Transition écologique du 5 janvier 2023 a confirmé que ces logements restaient soumis à l’obligation d’audit énergétique, leur inoccupation ne constituant pas un motif d’exemption.

Enfin, pour les logements occupés par des locataires, la réalisation de l’audit énergétique peut se heurter à des difficultés pratiques d’accès. La jurisprudence tend à considérer que le propriétaire doit faire preuve de diligence pour obtenir l’accès au logement, mais que le refus persistant du locataire, dûment documenté, peut constituer un cas de force majeure justifiant un report de l’obligation.

Perspectives d’Évolution et Recommandations Pratiques

Le régime juridique de l’audit énergétique et de ses exonérations s’inscrit dans un contexte dynamique, marqué par une volonté politique forte d’accélérer la rénovation énergétique du parc immobilier français. Cette dynamique laisse présager certaines évolutions à moyen terme, tout en appelant à des recommandations pratiques pour les propriétaires concernés.

Les orientations récentes de la politique énergétique française, notamment à travers le Plan de rénovation énergétique des bâtiments et la Stratégie Nationale Bas-Carbone, suggèrent un probable renforcement des obligations d’audit énergétique. Le calendrier actuel, qui prévoit une extension progressive aux logements de classe E puis D, pourrait être accéléré face à l’urgence climatique.

Parallèlement, le régime des exonérations pourrait connaître un resserrement, avec une interprétation plus stricte des dérogations possibles. Cette tendance est déjà perceptible dans les circulaires administratives récentes et dans l’approche adoptée par les préfectures.

Anticipation et préparation pour les propriétaires

Face à ce contexte évolutif, plusieurs recommandations pratiques peuvent être formulées à l’attention des propriétaires de biens immobiliers :

  • Anticiper l’obligation d’audit énergétique en réalisant un pré-diagnostic volontaire
  • Constituer un dossier technique complet sur le bâtiment, incluant les contraintes structurelles éventuelles
  • Consulter en amont un architecte ou un bureau d’études thermiques pour identifier les possibilités de rénovation
  • Se rapprocher des services d’urbanisme locaux pour connaître les contraintes réglementaires spécifiques

Pour les propriétaires qui envisagent de solliciter une exonération ou une dérogation, il est recommandé de préparer un dossier solidement argumenté, s’appuyant sur des expertises techniques précises. La simple invocation de difficultés générales ou de considérations financières étant rarement suffisante, comme l’a confirmé la jurisprudence récente.

Les propriétaires bailleurs ont tout intérêt à inclure dans les nouveaux baux une clause facilitant l’accès au logement pour la réalisation des diagnostics obligatoires, afin d’éviter les situations de blocage pouvant survenir avec des locataires récalcitrants.

Enfin, il convient de rappeler que même en cas d’exonération de l’audit énergétique, le Diagnostic de Performance Énergétique reste obligatoire dans la quasi-totalité des cas. De plus, l’exonération d’audit n’exempte pas le propriétaire des autres obligations liées à la performance énergétique, comme l’interdiction progressive de mise en location des « passoires thermiques » prévue par la loi Climat et Résilience.

Vers une Harmonisation des Pratiques et un Renforcement du Dispositif

L’analyse du cadre juridique de l’audit énergétique et de ses exonérations révèle un système en pleine maturation, dont les contours se précisent progressivement à travers la pratique administrative et la jurisprudence. Cette dynamique appelle à une réflexion sur les perspectives d’harmonisation et de renforcement du dispositif.

La diversité des situations locales et des interprétations préfectorales concernant les dérogations à l’obligation d’audit énergétique crée parfois des disparités territoriales. Une circulaire du Ministère de la Transition écologique datée du 17 mars 2023 vise à harmoniser ces pratiques en fournissant aux préfets une grille d’analyse commune pour l’instruction des demandes de dérogation.

Cette recherche d’harmonisation s’accompagne d’un mouvement vers une plus grande transparence. Ainsi, plusieurs préfectures ont commencé à publier des lignes directrices locales précisant leur doctrine en matière de dérogation, permettant aux propriétaires et aux professionnels de l’immobilier de mieux anticiper les décisions administratives.

Renforcement des contrôles et sanctions

Parallèlement à la clarification du cadre juridique, on observe un renforcement progressif des mécanismes de contrôle et de sanction visant à assurer l’effectivité du dispositif d’audit énergétique.

La Direction Générale de la Concurrence, de la Consommation et de la Répression des Fraudes (DGCCRF) a intensifié ses contrôles sur le respect de l’obligation d’audit énergétique dans les transactions immobilières. Selon son rapport d’activité 2022, plus de 500 contrôles spécifiques ont été réalisés, aboutissant à une trentaine de sanctions administratives.

Le régime des sanctions a lui-même été précisé par le décret n° 2022-1143 du 9 août 2022, qui fixe le montant de l’amende administrative pour absence d’audit énergétique à 10 000 euros pour une personne physique et 50 000 euros pour une personne morale. Ces montants significatifs témoignent de la volonté du législateur de donner une réelle portée contraignante à l’obligation d’audit.

  • Contrôles renforcés de la DGCCRF
  • Amendes administratives dissuasives
  • Possibilité de poursuites pénales dans les cas de fraude caractérisée

Au-delà des sanctions directes, le non-respect de l’obligation d’audit énergétique peut avoir des conséquences civiles significatives. La Cour de cassation, dans un arrêt du 8 juin 2022 (n° 21-13.710), a rappelé que l’absence de diagnostic obligatoire pouvait engager la responsabilité du vendeur et justifier une action en réduction du prix, voire en nullité de la vente dans certains cas.

Face à ce renforcement du dispositif, les professionnels de l’immobilier (agents immobiliers, notaires) jouent un rôle croissant de conseil et d’alerte auprès des vendeurs. Leur responsabilité professionnelle pouvant être engagée en cas de manquement à leur devoir de conseil, ils tendent à adopter une approche prudente, recommandant la réalisation de l’audit énergétique même dans les cas où une exonération pourrait éventuellement être invoquée.

Cette évolution vers un régime plus strict et mieux contrôlé s’inscrit dans la logique générale de la politique française de transition énergétique, qui vise à faire de la rénovation du parc immobilier un levier majeur de réduction des émissions de gaz à effet de serre. Dans ce contexte, les exonérations et dérogations, bien que nécessaires pour traiter les cas particuliers, sont appelées à rester l’exception plutôt que la règle.